Une langue hermétique

Muriel JOLIVET

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   On me demande souvent comment je suis venue au japonais. Effectivement à l’époque où j’ai commencé à l’étudier, nous étions assez nombreux en première année, mais les chiffres passaient déjà de 350 à 30 en année de licence.
  Quand j’étais au lycée Paul Valéry dans le 12e arrondissement de Paris, j’ai choisi la section “langues”. Ma première langue était l’anglais, la deuxième l’espagnol et la troisième l’allemand. Ce lycée proposait encore le russe et l’italien, mais quand je suis passée à côté d’un panneau qui proposait des cours du soir de chinois, j’ai eu la certitude que c’était ma voie. Je me suis aussitôt inscrite avec un camarade de classe (devenu sinologue !) et comme les cours étaient étalés sur trois niveau, j’ai suivi les deux derniers niveaux en terminale. Le chinois était devenu ma quatrième langue, et celle que je découvrais avec le plus de passion. J’ai aussitôt compris que ma voie était tracée et j’étais résolue d’aller aux Langues O[1].
  Les cours d’anglais première langue étaient excellents. Le professeur était une Anglaise qui faisait ses cours entièrement en anglais et je me souviens encore de certains textes étudiés. Peu après, elle a quitté le lycée pour entrer à l’université, car elle avait l’envergure d’une universitaire.
  Je me souviens qu’au lieu de me dire de me concentrer sur les trois langues que j’étudiais déjà et que j’allais passer au bac, mon professeur d’allemand m’avait dit qu’elle comprenait l’attrait que pouvait exercer une langue hermétique comme le chinois. Elle-même avait trouvé l’allemand plus passionnant à étudier que l’anglais, précisément parce que l’allemand est une langue plus hermétique.
  Apprendre une langue c’est aussi s’infiltrer dans une culture qu’on intègre peu à peu. Ma passion pour le chinois ne cessait de croître grâce aussi au professeur, Mme Bissat, qui ressemblait à s’y méprendre à mon héroïne de l’époque qui était Han Suyin (). De père chinois et de mère belge, Han Suyin avait une culture encyclopédique, perceptible dans ses très nombreux romans-fleuves (une quarantaine). Je me souviens être allée l’écouter à la mutualité de Paris, à une époque où elle soutenait Mao Zedong, mais plus encore Zhou Enlai… J’adorais son léger accent chinois en français, tout comme j’adore le léger accent chinois en japonais de mon maître actuel de taichi.
  Toujours est-il que j’ai passé le chinois au Bac, obtenant 16 sur 20 et les compliments de l’examinateur, Pénélope Bourgeois, qui me donna en modèle aux autres candidats qu’elle trouvait trop décontractés.
  Ma voie était donc trouvée. Sans hésiter, je me suis inscrite aux Langues O de Paris. Mon impatience était si grande, que j’avoue m’être inscrite dès la terminale à des cours de Vietnamien qui acceptaient les inscriptions en auditeur libre… Le vietnamien était devenu ma 5e langue, et j’avais un plaisir fou à essayer de reproduire en laboratoire les six tons de cette belle langue.
  Toujours est-il qu’une fois le bac passé, j’ai décidé de m’inscrire aussi en japonais à l’INALCO. L’apprentissage de deux langues hermétiques fut faisable jusqu’au DEUG, parce que je vivais de mon acquis en chinois, mais l’année de licence, je fus acculée à faire un choix, tant il était devenu difficile de répondre aux exigences des professeurs de japonais. Considérant l’hermétisme de la Chine à cette époque, j’ai choisi le Japon. Il faut dire aussi que l’enseignement du japonais était beaucoup mieux conçu, ce qui m’a épargné d’avoir des états d’âme. C’est ainsi que je suis entré en japonais comme on entre en religion car je savais que j’aurai à continuer ma vie durant un apprentissage qui ne cesserait jamais…



[1] Pour Langues Orientales, nom donné autrefois à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales).